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Le camp d’internés 1914-1919
Le camp d’internés 1914-1919

Dieser Internet-Auftritt verfolgt das Ziel, möglichst viele Informationen über das Internierungslager auf der Ile Longue zusammenzustellen, damit Historiker und Nachkommen der Internierten sich ein Bild von den Realitäten dieses bisher wenig bekannten Lagers machen können - nicht zuletzt auch, um die bedeutenden kulturellen Leistungen der Lagerinsassen zu würdigen.

Le but de ce site est de prendre contact avec les familles des prisonniers allemands, autrichiens, hongrois, ottomans, alsaciens-lorrains... qui ont été internés, pendant la Première Guerre mondiale, dans le camp de l’Ile Longue (Finistère).

le témoignage d’Aladar Kuncz
Article mis en ligne le 26 décembre 2013
dernière modification le 10 janvier 2016

par Anna

L’écrivain hongrois Aladar Kuncz, francophone et francophile, passe ses vacances d’été 1914 en Bretagne. Interné en août 1914, il passera toute la guerre en captivité, sur l’île de Noirmoutier (Vendée), puis sur l’île d’Yeu (Vendée). Au cours de son rapatriement, en 1919, il passe trois semaines à l’île Longue.

Aladar Kuncz immortalise ses cinq années de captivité dans « Le Monastère noir », publié en 1931 et traduit en Français en 1937. L’une des dernières pages apporte un intéressant témoignage sur le camp de l’Ile Longue :

« Le plan me semblait un peu aventureux, et pourtant cela s’est passé comme ça. A 9 heures, un groupe est venu me chercher, avec la permission du chef des gardes, et j’ai passé la nuit jusqu’à l’aube parmi les Français faisant le fête à la manière hongroise.
Mais cette nuit de liberté a été suivie encore de cinq semaines de captivité en France. Le lendemain à l’aube, nous sommes partis de Challans, et nous sommes arrivés trois jours plus tard dans l’après-midi sur l’île Longue, près de Brest. Sur la route nous avons passé un après-midi à La Roche-sur-Yon où les filles du bordel au bout de la ville ont cuisiné des repas pour nous. A la gare de Lorient nous avons rencontré des soldats américains, qui nous ont approvisionnés de conserves, de viande, de chocolats et de tabac. La condition de ces cadeaux était la même que celle de nos visiteurs sur l’île d’Yeu, c’est à dire, de ne pas en donner aux Français. Il y avait beaucoup de soldats américains à Brest. Deux grands paquebots les attendaient dans le port pour les amener aux Etats-Unis. C’est à peine si j’ai reconnu le port, tellement les Américains l’ont transformé. Nous avons accosté sur l’île Longue, au bout d’une demi-heure de voyage.
Cette île de forme allongée, en grande partie inhabitée, a été transformée en un grand camp de prisonniers. Derrière des clôtures de fils barbelés se trouvaient de nombreuses baraques où étaient logés 4 à 5 000 prisonniers civils pendant la première guerre mondiale. Aujourd’hui, il y a à peu près 4 000 personnes.
Quand nous sommes descendus depuis la petite colline de l’entrée sur la plaine du camp, nous avons aperçu un petit groupe d’internés qui nous attendaient. Il y avait parmi eux un ami hongrois de Paris, Pogány, un employé du Crédit Lyonnais, avec qui nous nous sommes dit au revoir à Paris dans les premiers mois de la guerre. Il y avait plusieurs jeunes hongrois bien habillés avec Pogány. Ils avaient déjà entendu parler de nous et nous avons sympathisé tout de suite. Parmi eux Molnár Lajos, Aczél, tous les deux de Pest (Budapest), qui étaient en voyage d’étude lorsque la guerre avait éclaté. Il y avait aussi deux artistes vivant à Paris, Beck (Bor) Pál et Kovács (Kurpataki). Ils nous ont accueillis en bons hôtes, ils nous ont cherché des bonnes places dans les baraques, et ils nous ont introduits dans la vie quotidienne de cette usine de prisonniers qui était très différente de notre petit camp de l’île d’Yeu.
Sur l’île Longue les prisonniers civils pouvaient améliorer leur cadre de vie avec leur argent, à leur guise. Ils avaient leurs propres théâtre et bibliothèque. Les artistes pouvaient aménager un atelier. Dans les baraques, il y avait assez de places pour tout le monde, et les prisonniers pouvaient les transformer comme ils le voulaient. Ainsi, dans la journée des petits restaurants et cafés émergeaient dans les baraques, tenus par des prisonniers garçons de café dans le civil. Le camp avait un terrain de foot. Les prisonniers eux-mêmes étaient responsables de l’ordre dans le camp. La cuisine du camp était mauvaise. Mais, comme il y avait parmi les internés des gens plutôt fortunés, qui avaient été capturés par des Français dans les premières semaines de la guerre sur des paquebots venant d’Amérique, les internés moins fortunés pouvaient gagner un peu d’argent avec eux et ainsi ces derniers n’étaient plus affamés.
Après l’île d’Yeu, le camp de l’île Longue semblait être un véritable centre de cure. C’était le seul camp d’internés civils en France, à part les « dépôt de famille », où les prisonniers avaient la possibilité d’améliorer leurs conditions de vie par leurs propres moyens.
Le soir, les Hongrois du camp de l’île longue ont invité Soltész, Németh, Dudás et moi dans l’atelier de Kovács. C’est seulement ici qu’en fin nous pouvions raconter des choses en détail. Pogány, Molnár et Aczél passaient la captivité à Lauvéve (ndlr : sans doute Lanvéoc – Finistère), un camp semblable à celui de l’île d’Yeu. Lehel István était aussi avec eux, mais il avait été rapatrié dans un convoi de malades. La grippe espagnole sévissait terriblement là-bas aussi. Cependant sur l’île Longue, où l’environnement du camp était plus sain, elle faisait moins de mal.
Après 5 ans nous étions de nouveau ensemble avec Pogány ? Tous les projets que nous avions tissés dans notre petit chambre d’hôtel du boulevard Saint-Michel étaient maintenant derrière nous. Nous avons dû constater que la réalité était bien plus sombre par rapport à ce que nous avions pu imaginer... Et maintenant que va-t-il arriver ?... Ils n’ont reçu, eux non plus, aucune nouvelle de chez nous.
La discussion s’est arrêtée. Tous, nous avions nos pensées au loin. Dans notre imaginaire un vaste espace au-dessus duquel se rassemblaient des nuages menaçants.
Tout d’un coup derrière le mur de l’atelier un violon retentit avec un air déchirant : Loin dans la grand forêt... Pour nous faire la surprise, nos amis ont fait venir le groupe de musiciens gitans du camp... Nous sommes restés 3 semaines sur l’Ile Longue et à la fin, malgré l’incrédulité de nos camarades de l’île Longue, l’ordre de mettre les Austro-Hongrois en route vers la Suisse est arrivé ici aussi.
Nous sommes partis le 15 mai et nous avons mis 8 jours pour arriver dans une petite ville des Alpes non loin de la frontière Suisse. Sur la route, un de nos camarades autrichiens ne pouvant supporter les émotions de la route vers la maison s’est taillé les veines avec son rasoir. Dans le wagon sombre nous n’avons remarqué que tardivement ce qu’avait fait le pauvre. On l’a descendu du train à Lyon où il n’aurait survécu que quelques heures.
Un dépôt tout neuf nous attendait à Annecy. Il servait à assurer le rapatriement des prisonniers vers leur pays. Il se trouvait dans une vallée des Alpes françaises et nous y étions accueillis dans des baraques luxueuses comme des villas, avec lits, canalisations d’eau et de la viande quotidiennement... Nous sommes restés ici deux jours. Mais, après 5 ans ce n’était pas assez long pour qu’on quitte la France avec de « bons souvenirs », comme le souhaitait le sous-préfet, qui nous a fait un discours enthousiaste, quand nous étions en rang, prêts pour le départ. Nous avons reçu chacun un numéro sur une feuille et que l’on devait accrocher sur nous. Comme si, ces années de captivité nous avaient gommés au point que nous ne serions restés que des numéros. »

Traduit du hongrois par Anna et Andrea.

le château de Noirmoutier en 2013