Bandeau
Le camp d’internés 1914-1919
Le camp d’internés 1914-1919

Dieser Internet-Auftritt verfolgt das Ziel, möglichst viele Informationen über das Internierungslager auf der Ile Longue zusammenzustellen, damit Historiker und Nachkommen der Internierten sich ein Bild von den Realitäten dieses bisher wenig bekannten Lagers machen können - nicht zuletzt auch, um die bedeutenden kulturellen Leistungen der Lagerinsassen zu würdigen.

Le but de ce site est de prendre contact avec les familles des prisonniers allemands, autrichiens, hongrois, ottomans, alsaciens-lorrains... qui ont été internés, pendant la Première Guerre mondiale, dans le camp de l’Ile Longue (Finistère).

Le témoignage d’Eugen Lenz
Article mis en ligne le 26 mars 2014
dernière modification le 10 janvier 2016

par Annie

Le document suivant qui relate l’internement d’Eugen Lenz nous a été remis par sa belle- fille, Gretel Lenz, domiciliée à Aalen dans le Württemberg. Pour commencer voici la lettre de madame Lenz à Christophe datée du 27 janvier 2014 dans laquelle elle commente et complète le récit de son beau-père.

"Vous trouverez en annexe quelques passages de lecture de l’année 1915 ainsi qu’un texte relatant l’époque où il a été fait prisonnier et où il s’est ensuite retrouvé à l’Ile Longue. Il n’y a malheureusement pas de date au récit de mon beau-père. Il se peut qu’il ait écrit auparavant un autre document qui aurait apparemment disparu. On peut conclure que cette époque l’a beaucoup préoccupé et marqué.
Voici comment j’évalue ses relations avec « les » français : jeune élève et lycéen ici à Aalen, il apprend le français et possède, grâce à l’enseignement de ses professeurs, une très haute estime pour le peuple français et la culture française. A 21 ans il est appelé sous les drapeaux et part sans illusions, voire avec un certain esprit critique (mais : « que dirons les gens à la maison ? ») Ensuite prisonnier de guerre en France, après son passage à l’Ile Longue, il subira de durs moments : en captivité dans différentes fermes il aura des problèmes avec chaque patron car il était en charge de transmettre les plaintes des prisonniers allemands. La période la plus sombre fut pour lui (dans le sens pur du terme) lorsque ses écrits secrets furent découverts : il passa 4 semaines dans une cellule sans fenêtres, ayant des rats comme compagnie. Puis ce fut le fameux « camp noir » près de Rouen, où les bateaux venant d’Angleterre chargés de charbon devaient être déchargés. Là une vie humaine ne comptait pour rien du tout ; celui qui tombait à l’eau parce qu’il avait glissé avec ses sabots était tout simplement disparu. Il revint à la maison seulement en février 1920 ; c’était un homme détruit. Sa famille le fait interner à l’hôpital psychiatrique de Tübingen où il est présenté aux étudiants comme le type même de grand invalide de guerre. Il n’a pratiquement rien raconté sur cette époque. Lorsque son fils (mon mari) alors conseiller municipal, lui parla d’un éventuel jumelage de Aalen avec la ville de St- Lô, il me dit alors qu’il ne pouvait pas soutenir ce projet car il avait vécu trop de choses."

Et voici le récit d’Eugen Lenz

1. Essai sur ma capture le 25.09.1915

Nous sommes passés par les villes suivantes Châlons-sur-Marne, Orléans, Blois, Tours, Nantes et, après avoir voyagé 4 jours et 2 nuits dans des conditions fatigantes, nous sommes arrivés à Brest. Voir sur la carte : Brest forteresse et port de guerre. Avant le dernier arrêt avant Brest, les gardes avaient reçu l’ordre de fermer toutes les ouvertures des fenêtres des wagons ; je ne pouvais pas comprendre ce qu’il y avait là à espionner, nous passâmes plusieurs fois dans des tunnels creusés dans la roche et lorsque nous sortîmes du train, la mer s’étendait devant nous, l’océan Atlantique. Brest se tenait elle-même à moitié sur notre droite, sur la côte au-dessus de la mer. Nous étions arrivés à la gare du port et que faisions-nous ici, si près de la mer, et où allions-nous nous rendre à partir d’ici ? Nous réalisâmes à l’instant que des wagons du train avaient été décrochés en route et que nous n’étions plus actuellement que 600 hommes. Dès cet instant le bruit courut que nous allions être transportés à Alger, dans les colonies françaises, ou peut-être que nous allions aussi être noyés. Nous devions atteindre quand même bientôt notre but provisoire. Trois remorqueurs avaient accosté au quai et il était question d’embarquer ; c’est la première fois de ma vie que j’allais prendre la mer (nous, les Allemands du sud en avions peu l’occasion). On remarquait sous nos pieds le travail régulier du moteur, et « en avant doucement » dit le capitaine ; l’hélice commença à vibrer et le remorqueur s’éloigna de la côte, avec son chargement de misère, de détresse, d’hommes dont le futur était peint en noir et surtout dont la liberté était dérobée.
Petit à petit on perdait de vue la côte et on atteignit le large, là où les flots s’agitaient, et notre petit remorqueur commença à balancer de vague en vague comme une coquille de noix, à l’avant éclatait la vague et nous mouillait le visage d’eau de mer, inlassablement, et aussi souvent qu’une vague plus forte nous atteignait nous devions nous rendre devant les éléments, nous étions trempés jusqu’aux os depuis longtemps. On ne pouvait pas reculer car nous étions pressés les uns contre les autres comme des sardines (en boîte) et nous ne pouvions même pas faire un pas en avant ou un pas en arrière.
Après environ une heure de traversée nous vîmes devant nous une pointe qui s’avançait de la terre ferme et notre bateau oscillant se rendait dans cette direction. On arriva devant une île dont le rocher plongeait de façon abrupte vers la mer et il nous sembla voir aussi des baraques là-haut sur l’île. A la sortie du port nous vîmes également plusieurs grands vapeurs ou bateaux de guerre, quelques petits croiseurs et torpilleurs à l’ancre.
Le débarquement ne se fit pas aussi rapidement que l’embarquement qui, effectué sur un ponton se déroula rapidement. On avait mouillé l’ancre devant le port et le débarquement se fit en descendant les échelles de corde pour passer dans des annexes qui nous amenèrent à la rame vers la terre ferme.
Nous venions d’arriver à L’Ile Longue sur laquelle un camp d’internement civil avait été installé depuis l’automne 1914 ; il devait y avoir environ 60 baraques. Dans le camp on nous souhaita la bienvenue, quel accueil nous firent ces hommes…. Quel réconfort cela nous procura. On voyait bien que les hommes avaient pitié de nous, pauvres hères, et nous ne nous étions pas trompés. Le délégué allemand du camp fit savoir qu’aujourd’hui, les internés civils allemands avaient renoncé à leur repas de midi et que chacun pouvait dès à présent aller chercher une ration à la cuisine. Quelle prévenance, nous n’étions plus habitués à tant de bonté après avoir subi tant d’humiliations les jours derniers. Nous n’avions rien mangé de chaud depuis 8 jours, seulement très peu de nourriture et tout à coup il y avait des pommes de terre avec de la viande rôtie et de la sauce, la faim se lisait dans nos yeux car les civils nous distribuaient à tous du pain en nous demandant « qui n’a pas de pain, qui en veut ? » et comme on se précipitait sur le moindre morceau de pain que devaient-ils penser de nous, ces hommes prisonniers depuis longtemps ? Les prisonniers civils étaient sur l’île depuis le 14 septembre, ils étaient tous venus ici d’Amérique, le vapeur sur lequel ils avaient étaient transportés s’appelait le Charles-Martel , ils avaient été capturés par un sous-marin français et amenés au port de Brest. Les questions n’en finissaient plus ; « comment ça va et que se passe-t-il en Allemagne, comment ont-ils été fait prisonniers », puis on en arriva aux particularismes….Les internés civils de Saxe cherchèrent les prisonniers de guerre de Saxe, ceux de Bavière les prisonniers de guerre bavarois et nous du Württemberg nous n’étions que peu et fûmes reconnus par nos compatriotes par la cocarde et le numéro de régiment que nous portions. De quelle région, du Oberland ou Unterland et vice versa, d’où venait celui qui posait la question et tout aussi rapidement nous devenions amis et lorsqu’on avait trouvé un compatriote de la même ville ou région qui connaissait la même personne, le plaisir était d’autant plus grand et l’intérêt plus vif. Là, quelqu’un appela « tous les Souabes par ici » - je crois qu’il était de la région de Reutlingen - et chacun reçut un paquet de tabac, d’autres apportèrent des chemises et chaussettes mises de côté ou autre vêtement, je crois que les enfants lors de la distribution des cadeaux de Noël n’auraient pas montré un visage plus ravi que nous, prisonniers gâtés, nous l’étions en ce moment.
Un homme de Remstal, dont le nom m’échappe malheureusement, ainsi que son ami Herr von Freitag, dont le père était à ce moment officier supérieur sur le front de l’est, vint me chercher le soir pour aller dans sa baraque, et sans dire un mot, ils me servirent de la soupe, des haricots, du pain et de la viande. « Avez-vous assez de vêtements, je vous ai préparé une chemise, des chaussettes et des sous-vêtements, quand vous partirez, prenez les. » Ils servirent même du vin ; comment pouvais-je les remercier pour autant de prévenance ? Comment rendre tant de bonté ?

2.

Quelques jours après notre arrivée, on nous laissa écrire la première carte à nos familles qui devaient se faire beaucoup de souci puisqu’elles n’avaient pas de nouvelles de nous depuis ce fameux 25 septembre, et que les lettres et paquets expédiés au front avaient été réexpédiés au pays avec la mention « ne fait pas partie du régiment » ou avaient disparu. Peut-être nous croyant morts, nous pleuraient-elles déjà. Nous avions le droit d’écrire 10 lignes sur une carte, nous pouvions écrire 4 cartes, et 2 lettres par mois.
Il y avait aussi un orchestre dans le camp (en souligné : se trouvait dans la cantine spacieuse). On fit savoir que dimanche il y aurait un concert joué pour les soldats, et dans une salle pleine à craquer furent joués ouvertures et pièces jouées en solo ainsi que des chants populaires à condition qu’ils fussent permis. Ici tout avait été organisé pour oublier la tristesse de la réalité, le travail n’était pas obligatoire, les gardes français se comportaient correctement et nous laissaient en paix, pas comme dans les autres camps où je serai interné.
Dans le camp, il y avait une bibliothèque considérable et je passais la plupart du temps à lire. Nous les prisonniers, nous en avions le libre accès et je ne m’en privais pas. D’une certaine manière le camp était placé de façon romantique. Vers l’ouest : vue ouverte sur la mer, au nord-ouest et à l’est : vue sur la terre. Loin à l’est on voyait Brest et de nuit les lumières de la ville étaient…. comme ……
On voyait tous les jours des bâtiments de guerre, petits et grands croiseurs et quelques sous-marins qui manoeuvraient autour de l’île.

3.

Nous étions amenés journellement et regroupés en colonnes sur la grève pour porter dans le camp la viande, le riz, les pommes de terre, les haricots, bref, la cargaison du fameux « remorqueur à provisions » venant de Brest. Ce qui était intéressant pour nous, nouveaux prisonniers, c’était d’attendre la marée, d’observer comme la mer montait et voir l’écume que les vagues faisaient en éclatant contre la falaise. Lorsque la mer était calme, des centaines de bateaux de pêche sortaient ; le gagne-pain principal des Bretons, dont la population se compose en grande partie de pauvres pêcheurs, où l’on trouve aujourd’hui encore une majorité d’analphabètes mais aussi où l’on recrute les meilleurs soldats.
Dans le camp on pouvait avoir des journaux français. Tous les jours on pouvait acheter pour 2 sous le Matin, le Journal, Le Petit Parisien et l’on pouvait suivre assidûment, journellement, les récits de guerre, les avancées et victoires des Français, dans ces journaux il n’était pas question d’autre chose. L’offensive allemande contre la Serbie avait commencé, la presse française relatait peu ce sujet, on lisait seulement de temps en temps que les Allemands avaient gagné du terrain ou avaient pu déplacer des postes sur le front. Dans ce temps-là, c’était en octobre 1915, tout le camp espérait une paix prochaine, tous les jours les pensées de revenir bientôt, probablement de rentrer à la maison avant la Noël, se répandaient dans le camp et si quelqu’un avait dit que tu serais encore là dans 2, 3 ou 4 ans, toujours pas revenu à la maison, on l’aurait pris pour un fou et heureusement la providence dans sa sagesse a voulu que l’homme ne connaisse pas le futur. Telles étaient nos espérances, dans notre pessimisme.
Les jours passèrent vite à l’Ile Longue et furent pour nous les prisonniers de guerre un lieu de repos et, beaucoup trop tôt, un après-midi, survint un ordre disant que les soldats devait quitter l’île car celle-ci était réservée aux internés civils. Tous ceux qui étaient malades ou en convalescence pouvaient rester, les autres devaient être prêts à partir le lendemain matin. Nous dûmes rendre nos ustensiles de cuisine, nos cuillères, nos gobelets et nos couvertures puis, allégés de nos bagages mais avec le cœur lourd, nous prîmes congé de nos hôtes, les internés civils, en leur souhaitant, les uns après les autres, une bonne continuation et un prochain retour au pays, ce qui ne serait malheureusement pas le cas, ni l’un ni l’autre. C’était un matin de grand vent et les vagues étaient hautes. Deux remorqueurs et un vapeur étaient prêts à faire la traversée vers la terre, l’embarquement fut rapide, la chaîne de l’ancre se mit à grincer et nous partions à nouveau vers une destination inconnue. Les internés civils qui restaient sur l’île nous avaient accompagnés à la grève et tandis que la sirène du remorqueur donnait le signal de départ et que l’hélice commençait à tourner, les adieux n’en finirent plus : c’était des Allemands qui étaient arrachés à d’autres Allemands.
Tout comme lors de notre traversée 6 semaines plus tôt, nous étions entassés sur le remorqueur, j’avais pu trouver à temps une place au sec et me collait contre l’avant (la quille ?) du bateau. Nous étions bientôt au large, loin de nos internés civils là-bas sur l’île, et mes pensées se tournaient assidûment vers le futur. Il était évident que nous ne serions plus jamais aussi bien traités que sur cette île. Entre temps nous avions atteint le large et les grosses vagues qui éclataient contre la quille nous recouvraient d’eau de mer. Le remorqueur ne pouvait avancer que tout doucement et cette fois-ci nous eûmes tous le mal de mer. Les vagues hautes comme des maisons soulevaient le remorqueur et des creux de la même importance s’ouvraient. Nous étions comme une coquille de noix dans la houle de la mer. La traversée dans la tempête dura 2 heures jusqu’à notre arrivée à l’abri du port où on nous débarqua au même endroit où 6 semaines plus tôt on nous avait embarqués. Regroupés en colonnes on se rendit à la gare du port où un train nous attendait, cette fois c’était même un train avec des wagons de passagers. Un jeune homme de 19 ans de l’infanterie de marine à qui je demandais pourquoi nous montions dans des wagons de passagers m’expliqua que les wagons de transport étaient tous en ce moment sur le front pour transporter la troupe ou pour une autre utilisation. Après avoir quitté la gare de Brest nous traversâmes la Bretagne et gagnâmes ensuite Rennes (1 heure du matin).